BOUNDARY CONDITION


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Le Soleil se lève sur la Lune

 

 

Le journée commençait paisiblement sur le complexe lunaire Dark Side City. Depuis plus de deux heures, un homme faisait les cent pas dans la salle d’attente du centre médical n° 4. De temps en temps son regard s’attardait sur l’horloge murale. Finalement, sur les coups de huit heures du matin, une infirmière lui annonçait enfin la bonne nouvelle.

- L’accouchement s’est bien passé Monsieur, vous êtes à présent l’heureux papa de deux jumeaux.
     Le visage de l’homme s’illumina alors d’un large sourire.
- Enfin
- Oui. Toutes mes félicitations Monsieur.
- Puis-je les voir ?
- Oui bien sûr, suivez-moi s’il vous plait.

Cela faisait bientôt deux ans que le couple était en mission permanente sur la Lune. Les accouchements y étaient cependant assez rares. Peu de personnes en fait restaient aussi longtemps en poste. Le rythme de travail soutenu, l’environnement stérile et artificiel étaient autant de facteurs de stress qui en décourageaient plus d’un. Rares étaient également ceux qui arrivaient à supporter sur une aussi longue durée les exigences de rigueur et de discipline qui y étaient requises.

Darkside City était un gigantesque complexe militaro-scientifique dédié à la recherche et situé sur la face cachée de la Lune. Ce projet international avait été financé par des fonds aussi bien civils que militaires. Le programme principal, celui absorbant le plus de ressources était le projet anti-météores Space Guard. Pratiquement toutes les nationalités étaient représentées sur la Lune. La partie civile était composée d’un immense réseau de laboratoires dont l’activité recouvrait de nombreux domaines. Une part importante du budget était consacrée à l’observation fine de l’espace et plus particulièrement du système solaire, grâce à l’utilisation simultanée de plusieurs dizaines de télescopes installés en surface. Plusieurs milliers de personnes (militaires, scientifiques, techniciens, personnels administratifs …) vivaient ainsi en permanence à plusieurs dizaines de mètres sous la surface. La lune étant dépourvue d’atmosphère, c’était le moyen le plus simple (et aussi le moins coûteux) de se protéger des radiations solaires mortelles ainsi que des chutes de météorites et divers objets célestes. La construction de dômes aurait été une solution certes plus esthétique, mais trop complexe, trop coûteuse et d’une sécurité toute relative. Le plus simple était encore de creuser la roche et d’installer en sous-sol les zones de travail et d’habitation.

Tous ces gens étaient répartis dans des modules indépendants, distants de plusieurs centaines de kilomètres et reliés entre eux par des tubes de transports. Malgré cette importante dispersion géographique, il ne fallait que quelques minutes pour passer d’un module à l’autre. Dans le vide silencieux de la lune, avec aucune molécule pour venir frêner leur course, les tubes de transports permettaient d’acheminer personnels et matériels à grande vitesse en utilisant la lévitation magnétique.

Pour leurs besoins courants, les modules tiraient pour l’essentiel leur énergie du Soleil, par l’intermédiaire de centaines de milliers de capteurs disposés en surface. Mais cette source d’énergie propre, gratuite, abondante et inépuisable avait quand même ses limites. Le solaire n’était pas bien adapté, en tout cas pas assez puissant pour alimenter les gigantesques lasers et faisceaux à particules du projet Space Guard. C’est pourquoi il avait également fallut construire plusieurs dizaines de réacteurs nucléaires pour pouvoir assurer une production énergétique à la fois puissante et constante. Ce choix avait suscité beaucoup de débats houleux mais un consensus s’était finalement dégagé pour admettre que l’utilisation de l’atome était indispensable.

Les conditions au sol du satellite naturel de la Terre étant impropres au développement de toute forme de vie, il n’y avait donc aucune chance d’y trouver une quelconque source d’énergie fossile. La Lune était, avec les pôles et les fonds marins sur terre, le seul endroit relativement épargné de la folie destructrice des hommes en matière d’environnement.

Plusieurs décennies s’étaient écoulées depuis le vol de Gagarine, mais la technologie spatiale, bien qu’ayant fait d’énormes progrès, était encore loin d’être complètement maîtrisée. La propulsion ionique, sur laquelle on fondait de grands espoirs, était encore loin des performances en puissance des moteurs-fusée classiques.

Certes, un vol habité sur Mars avait eu lieu en 2069 pour fêter le centième anniversaire du premier pas de l’Homme sur la Lune, mais c’était une fois de plus d’avantage pour la gloire que pour autre chose et finalement, comme avec les missions Apollo, il n’y eut pas de suite. L’espace, bien que faisant toujours rêver, restait une aventure chère et avec un rentabilité hypothétique, du moins pas immédiate. Après cette date, la fièvre retomba assez vite. Le scientifique demeurait encore dans l’esprit collectif un savant fou avec le cerveau rempli d’inventions qui pouvaient être aussi bien géniales que complètement farfelues. En fait, tout ce que détestent les grands argentiers.

De nombreuses études sur papier avaient été menées en vue de l’installation d’une base permanente sur la Lune. Aucune ne s’était concrétisée, le budget dépassant allégrement les mille milliards de dollars. Le projet Dark Side City aurait sans doute lui aussi dormi quelques temps encore dans les cartons si un météore situé entre Mars et Jupiter n’avait eu la bonne idée de changer de trajectoire et de venir percuter la Terre. Evénement hautement improbable nous avait-on assuré en haut lieu, et ce malgré les multiples (mais malheureusement vaines) mises en garde d’éminents spécialistes. Et pourtant, l’impensable se réalisa, bien plus tôt qu’on ne l’aurait crû. L’objet fut détecté et observé largement avant la date de la collision, mais faute de technologies qu’on n’avait pas voulu développer, on ne pouvait que rester là, assis, impuissants. Une hystérie collective s’empara du monde. Certes, le bolide qui nous arrivait dessus à grande vitesse était heureusement trop petit pour causer la fin du monde, mais assez tout de même pour créer de gros dégats. Bon nombre de dirigeants n’osaient plus mettre le nez dehors de peur de se faire lyncher par une population lassée par tant d’incompétence. Un Conseil Mondial de l’Espace regroupant la NASA, L’ESA, ainsi que toutes les autres agences spatiales fût crée pour tenter de trouver une solution à cette crise sans précédent.

Avec les technologies de l’époque, il était impossible de pulvériser ou bien de suffisamment dévier le météore pour éviter une collision avec la Terre. La seule chose restant à faire était de tenter d’infléchir la trajectoire de l’objet pour que la chute soit en quelque sorte pilotée et qu’elle se produise là où elle ferait le moins de dégats, à savoir au milieu de l’Océan Pacifique, en sacrifiant délibérément l’Australie. La gigantesque vague formée lors de l’impact allait dévaster tout sur son passage, du Japon jusqu’au Chili ; le climat mondial risquait d’en être gravement affecté, ce qui se produisit effectivement. Mais au moins le scénario de l’hiver nucléaire fut évité.

Fort heureusement, le délai de préavis fut suffisant pour pouvoir effectuer une évacuation générale de la population. Au final, il n’y eut qu’un minimum de pertes humaines à déplorer. Mais le déplacement d’un si grand nombre de personnes posa quand même de sérieux problèmes de logistique. Le désert Africain fut choisit pour acceuillir une partie des riverains du Pacifique. Les déserts Américains se remplirent aussi, mais de manière sélective. Malgré le tollé mondial que cela suscita, les Etats-Unis et le Canada n’acceptèrent sur leur territoire que les Australiens, les Néo-Zélandais, les Japonais, les Coréens et la population de Taiwan. Une poignée d’autres ressortissants, tous fortunés, furent également acceuillis les bras ouverts, et ce où qu’ils demandent à aller. Une solidarité mondiale imparfaite certes, mais une solidarité tout de même se mit ainsi en place.

Pour cette fois-ci encore, l’Humanité s’en tirait de justesse, sans doute une ultime mise en garde du Destin. Si le météore avait été un peu plus gros, ou pire si cela avait été une comète à période longue, dans l’un ou l’autre des cas, l’événement aurait pu être la cause de l’extinction de notre civilisation. Cet événement rappela à tous que la Nature est potentiellement bien plus dangereuse qu’on ne le croit.

Ce caillou, qui n’était pourtant pas si gros que ça (seulement quelques centaines de mètres, un grain de poussière à l’échelle cosmique), avait suffit à mettre fin à toutes les tergiversations sur le bien fondé d’une base permanente sur la lune. Bien que l’économie mondiale fût gravement déstabilisée par cet incident, le projet DarkSide City allait devenir une réalité. La construction, à marche forcée, dura plus de dix ans et coûta une somme collossale. Ayant alors le couteau sous la gorge, les plus grosses fortunes du monde consentirent, non sans rechigner, à participer au financement de ce programme. Cet événement allait semble-t-il être un élément fédérateur de l’ensemble des forces vives de la planète. De grands espoirs de fraternité et de coopération internationale étaient nés.











     








     

















          








          


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